LETTRE IV
Selborne, le 19 février 1770,
Cher Monsieur,
Votre observation selon laquelle “le coucou ne dépose pas son œuf au hasard dans le nid du premier oiseau qui se présente, mais recherche probablement une nourrice qui lui soit dans une certaine mesure apparentée, à laquelle confier son jeune,” est tout à fait neuve pour moi ; et elle m’a frappé si fortement que je me suis naturellement mis à me demander si c’était bien le cas et pour quelle raison. Quand j’ai commencé à rassembler mes souvenirs et à enquêter, je n’ai pas pu trouver que le moindre coucou ait jamais été vu dans ces contrées, sinon dans un nid de bergeronnette, d’accenteur mouchet, d’alouette des champs, de fauvette grisette et de rouge-gorge, tous oiseaux à bec délicat et mangeurs d’insectes. L’excellent M. Willughby mentionne le nid du palumbus (ramier) et celui de la fringilla (pinson), oiseaux qui se nourrissent de glands et de grains, et autre nourriture dure : mais il faut dire qu’il ne rapporte pas ce qu’il a lui-même observé ; il ajoute ensuite avoir vu une bergeronnette nourrir un coucou. Il semble fort peu plausible qu’un oiseau à bec délicat se nourrisse de la même façon qu’un oiseau à bec dur ; car le premier a un estomac à fine membrane adapté à sa nourriture tendre alors que le second, de la tribu des granivores, possède un gésier fort et musculeux qui, tel un moulin, broie, à l’aide de petits graviers et cailloux, ce qui est avalé. Ce procédé du coucou, d’abandonner ses œufs comme par hasard, est une atteinte si monstrueuse à l’amour maternel, l’un des premiers grands principes de la nature et une telle violence contre l’instinct, que s’il n’avait été décrit qu’au sujet d’un oiseau des Brésils ou du Pérou, nous n’y aurions jamais cru. Et pourtant, s’il devait encore apparaître que ce simple oiseau, une fois dépouillé de la στοργη [1] naturelle qui semble exhausser l’espèce au-dessus d’elle et lui inspirer astuce et adresse à un degré extraordinaire, restait encore doué d’une faculté plus élargie de discerner quelles espèces font des mères adoptives convenables et apparentées pour ses œufs négligés puis ses jeunes de manière à ne les confier qu’à leur seul soin, ce serait ajouter une merveille à une autre et démontrer derechef que les méthodes de la Providence échappent à tout mode ou règle, sans cesser de nous stupéfier sous des lueurs inédites, dans des circonstances variées et changeantes.
Ce qu’a dit un très antique et sublime auteur au sujet du manque d’amour naturel chez l’autruche pourrait parfaitement convenir à l’oiseau dont nous parlons :
“Dure pour ses petits comme pour des étrangers,
d’une peine inutile elle ne s’inquiète pas.
C’est que Dieu l’a privée de sagesse,
ne lui a point départi l’intelligence.” [2]
Question - Chaque femelle coucou ne pond-elle qu’un seul œuf par saison ou en pond-elle plusieurs dans différents nids en fonction des occasions ?
Je suis, etc.
L’histoire naturelle de Selborne, Londres, 1789.