Guillaume Villeneuve, traducteur
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Le ver de terre

jeudi 10 mai 2012, par Guillaume Villeneuve


LETTRE XXXV

Selborne, le 20 mai 1777,

Cher Monsieur,

Les terres exposées à de fréquentes inondations sont toujours pauvres ; et la raison en est probablement que les vers sont noyés. Les insectes et reptiles les plus insignifiants ont une bien plus grande importance et une bien plus grande influence dans l’œconomie de la nature que ne le croient les personnes sans curiosité ; et leur effet est puissant grâce à leur petitesse qui les expose moins à l’attention ; et grâce à leur nombre et à leur fécondité. Les vers de terre, bien qu’en apparence un petit maillon méprisable dans la chaîne de la nature, créeraient un gouffre terrible s’ils disparaissaient. Car, sans parler de la moitié des oiseaux et de certains quadrupèdes qui se nourrissent presque exclusivement d’eux, les vers semblent être les grands promoteurs de la végétation dont le développement serait compromis sans eux qui creusent, perforent et ameublissent le sol, le rendent perméable aux pluies et aux fibres des plantes, en y attirant des pailles, des tiges de feuilles et des rameaux ; et surtout, en rejetant un nombre si infini de mottes de terre, leurs déjections, qui étant leurs excréments, constituent un bon engrais pour les céréales et l’herbe. Les vers fournissent probablement un nouveau terreau aux collines et aux pentes dont la pluie lessive les terres ; et ils apprécient les pentes, sans doute pour éviter les inondations. Jardiniers et fermiers affichent une détestation des vers ; les premiers parce qu’ils enlaidissent leurs allées et leur occasionnent beaucoup de travail ; les seconds parce qu’ils croient que les vers mangent le blé en herbe. Mais les uns et les autres découvriraient qu’une terre privée de vers deviendrait vite froide, compacte, dépourvue de fermentation ; et par conséquent stérile ; au surplus, il faut souligner, au crédit des vers, que le blé en herbe, les plantes et les fleurs ne sont pas tant attaqués par eux que par de nombreuses espèces de coleoptera (scarabées) et de tipulæ (buprestes), à l’état de larves ; et par des myriades invisibles de petits escargots sans coquilles, appelés limaces, qui causent un ravage inouï, silencieusement et imperceptiblement, au champ et au jardin. [1]

Ces remarques nous paraissent opportunes pour inciter les personnes sensées et curieuses à enquêter.

Une bonne monographie sur les vers procurerait beaucoup d’intérêt divertissant et d’informations tout à la fois, en ouvrant une large et nouvelle carrière à l’histoire naturelle. Les vers travaillent surtout au printemps ; mais ils ne sont nullement léthargiques pendant les mois d’hiver ; ils sortent à chaque nuit un peu douce en hiver, comme en sera persuadé quiconque se souciera d’examiner ses étendues herbeuses à la chandelle ; ils sont hermaphrodites, très enclins au plaisir d’amour et par conséquent très prolifiques.

Je suis, etc.

L’histoire naturelle de Selborne, Londres, 1789

Notes

[1Le fermier Young, de Norton-farm, déclare qu’en ce printemps 1777, environ deux hectares de son blé dans un champ a été entièrement détruit par des limaces, qui s’agglutinaient sur les brins de blé et les dévoraient dès qu’ils pointaient.(NdA)


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