Guillaume Villeneuve, traducteur
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Le garçon-guêpier

jeudi 10 mai 2012, par Guillaume Villeneuve


LETTRE XXVII

Selborne, le 12 décembre 1775,

Cher Monsieur,

Nous avions dans ce village, il y a plus de vingt ans, un idiot dont je me souviens bien, qui, dès l’enfance, montrait un grand penchant pour les abeilles ; elles étaient sa nourriture, son amusement, son seul intérêt. Et comme les êtres de ce type ont rarement plus d’un point de vue, ce garçon consacrait ses quelques facultés à cette unique poursuite. En hiver, il somnolait tout le temps, sous le toit paternel, au coin du feu, dans une sorte d’état léthargique, et s’éloignait rarement du coin de l’âtre ; mais l’été, il était tout éveillé, en chasse de ses proies dans les champs et sur les berges ensoleillées. Les abeilles à miel, les bourdons, les guêpes étaient sa proie partout où il s’en trouvait : il ne redoutait pas leurs dards mais les saisissait nudis manibus et les désarmait aussitôt de leur arme et leur suçait le corps à cause de leurs sacs à miel. Parfois il remplissait sa panse, entre sa chemise et sa peau, d’un certain nombre de ses captives ; parfois, il les enfermait dans des bouteilles. C’était un vrai merops apiaster, un guêpier ; et très nuisible aux apiculteurs car il se faufilait dans leurs jardins, s’asseyait devant les ruches, tapait du doigt dessus et s’emparait des abeilles à mesure qu’elles sortaient. On l’a vu renverser des ruches pour s’emparer du miel dont il était passionnément friant. Là où l’on faisait de l’hydromel, il rôdait autour des bassines et des cuves pour mendier une gorgée de ce qu’il appelait du vin d’abeille. En courant de-ci de-là, il émettait un bruit de bourdonnement avec les lèvres, à la manière des abeilles. Ce garçon était maigre, avait le teint cireux et une complexion cadavérique ; à l’exception de son passe-temps favori, où il faisait preuve d’une adresse merveilleuse, il ne montrait aucune sorte de compréhension. Son aptitude eût-elle été plus grande et dirigée sur le même objet, il aurait pu nous en faire rabattre de notre admiration devant les exploits d’un plus récent montreur d’abeilles savantes ; et nous pouvons à bon droit dire de lui, aujourd’hui :

... Toi
Si ton étoile avait brillé, propice,
Tu eusses été Sauvage...

Une fois pubère, on le déplaça d’ici dans un village éloigné où il mourut, à ce que je sais, avant d’atteindre l’âge adulte.

Je suis, etc.

L’histoire naturelle de Selborne, Londres, 1789


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