Guillaume Villeneuve, traducteur
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Une question de peur

mercredi 7 décembre 2022, par Guillaume Villeneuve


La voiture s’approcha de la bordure du trottoir, évoluant au rythme de mes pas sur le trottoir. Elle me devança légèrement. Du coin de l’œil, je vis bouger son capot ; puis ce fut le reflet du pare-brise. Un coup d’œil, et ce fut l’aperçu du petit trou noir d’une arme posée sur l’encadrement de la vitre, me visant…

Les genoux réagirent les premiers ; ils ne se pliaient plus correctement. La culpabilité, née de ce suiveur, suscita le sentiment, la certitude, que chacun de mes pas maladroits était aussi remarquable que la démarche contrariée d’une personne sévèrement handicapée. Mes pieds trottinaient à petits pas pressés sur un coussin d’air, hésitant à toucher le sol, à courir ou ralentir, sans consigne appropriée de ma part. Les hommes de la voiture me surveillaient… Le chauffeur fit une remarque sur ma barbe et ajouta quelque chose qui s’acheva sur un juron.

Je me mis à tourner la tête, lentement, avec raideur.

La voiture s’éloigna. Ce n’était pas moi qu’ils recherchaient cette fois.

Cela n’avait pas duré plus d’un instant. Il y eut d’autres épisodes, plus longs, plus effrayants ; mais aucun d’aussi intense.

Une image de peur ne disparaît jamais. Elle est seulement classée, pour d’embarrassantes réapparitions, obsédantes… au passage d’une voiture. Nous avons tous, peut-être, au moins une image de peur personnelle. Celle-ci me hante, depuis Buenos Aires, où commence ma peur, jusqu’à Londres, depuis Madrid jusqu’à Managua. La terreur est paralysante ; l’hystérie embarrassante ; la peur, humiliante. Les deux premières sont épisodiques et s’estompent ; la peur est une compagne permanente.

Un État de peur, Nevicata, Bruxelles, 2022, pp. 61-2.


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