Guillaume Villeneuve, traducteur
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Deux poèmes

samedi 6 janvier 2007, par Guillaume Villeneuve


Abeilles sauvages

D’abord elles arrivent une par une, éclaireurs
s’accrochant à une épine, un brin d’herbe de mon chemin,
ou faisant du sur place à quelques centimètres de ma joue,
puis elles vont plus vite, plus nombreuses,
sombre coup de fouet, cylindre mobile
d’obscurité ; le ciel entier noircit.
Pas moyen de contourner. Je me cache les mains,
ajuste mon petit cercle de capuchon,
et continue de marcher, les paupières scellées -
effigie sculptée de bois vert -
raidie contre les piqûres,
à l’écoute des corps volants
qui se rueront sur le tissu
comme la pluie sur la toile - mais seul vibre
un souffle, un bouillonnement d’ailes
qui s’écarte pour me laisser passer,
sans dommages. Pas une seule abeille
prise dans mes cheveux ou mes vêtements,
bien que je me secoue. Se rendaient-elles même compte
que j’étais humaine, vulnérable ? J’ouvre la fermeture éclair
de ma veste, évalue la route noyée
jusqu’au sommet sous la nuée sombre.
Je gravis la pente en chantant.

Crapaud nocturne

On le voit à peine -
sa silhouette, sa peau froide
presque une feuille morte,
un marron marbré, un vert terne,
du kaki. Il reste si immobile
haletant si vite
tout au bord de l’eau
entre les ornières du chemin.
 
Et soudain il est au centre
d’un cône de lumière
qui tombe du ciel nocturne -
les ornières parcourues de feu liquide,
les toiles d’araignées imprimées sur du noir,
chaque brin d’herbe précis
et distinct - jusqu’à ce que le sifflement
de la vie humaine s’éloigne,
l’air ne grince plus,
le tremblement cesse
et qu’il puisse ramper
là d’où il vient.
Mais qu’était-ce là
sinon la mort ?

Traductions recueillies dans les Annales de la Villa Mont-Noir, 1998-1999


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