Guillaume Villeneuve, traducteur
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La crise climatique

samedi 7 janvier 2023, par Guillaume Villeneuve


Mercredi 4 octobre 1978

Nous avons dîné chez Sally Westminster pour faire la connaissance de Sir Bernard Lovell et de sa femme [1] qui passent la nuit à Wickwar. Cet homme éminent ne paraît pas extraordinairement distingué, mais il a le visage d’un sage. Il est petit, chauve et ventripotent. Une bouche bizarre, régulière et pourtant tordue, des lèvres minces. Une modestie plaisante, des manières agréables. J’étais à côté de sa femme, charmante, intelligente, radieuse et drôle. Après le dîner j’ai longuement parlé avec lui. Des hirondelles cet automne qui, privées d’insectes pendant la période de froid, se fracassaient contre les vitres et les murs lorsqu’elles décidèrent de migrer. S’agissait-il de suicide désespéré ou d’une recherche d’insectes dans des lieux inhabituels ? Les hirondelles sont des oiseaux extraordinairement fantasques. Tout comme moi, il a critiqué les pesticides. Je lui ai demandé si les avoir utilisés en si grosses quantités depuis la guerre a augmenté les récoltes de blé et il en doute. Je lui ai demandé si la ceinture d’oxygène dont dépendent tous les êtres vivants était endommagée par la destruction rapide des forêts pluviales de la planète ; il me l’a confirmé. Il a dit que la température de la terre avait déjà augmenté d’un degré dans les trente dernières années à cause de l’augmentation de la production d’électricité en Occident. Que si le Tiers monde devait disposer des mêmes conforts de vie, électricité et machines de toutes sortes, alors la menace pesant sur la planète serait très grave. Que les politiques de gauche n’accordaient jamais une minute de réflexion aux conséquences désastreuses de l’augmentation de la population dans leur volonté de répartir plus équitablement ce qu’il appelle les conforts de vie. On devait tirer une leçon du sort de la planète Vénus. Laquelle ?, ai-je demandé. L’envoi de sondes là-bas et leurs photographies ont montré que Vénus avait jadis à peu près la même température que la terre, et des conditions similaires en matière d’oxygène et probablement de végétation, bien qu’elle soit notablement plus proche du soleil que nous. Mais, pour une raison ou une autre, sa température s’est emballée de sorte que rien ne peut survivre à sa surface aujourd’hui et que le plomb y fondrait. Il a remarqué que les politiciens ne comprennent pas la gravité du problème énergétique et qu’ils ne s’y intéressent pas. Il est très pessimiste pour l’avenir. Dans le prochain demi-siècle, quelque terrible catastrophe pourrait se produire sur terre. L’idée que nous serons tous morts à ce stade ne le console aucunement. Selon lui, tout savant contemporain ne peut être que pessimiste.

Comme d’autres grands hommes que j’ai croisés, Bernard Lovell s’intéresse à beaucoup de choses. C’est un jardinier fervent, il est fou d’oiseaux et de nature, comme de musique. M’a dit qu’il venait d’une famille nombreuse près de Bristol, tous musiciens. Ils se sont tant amusés avec l’orchestre formé par la famille ! C’est une chose qu’ignore la jeunesse d’aujourd’hui. Il a déploré devoir consacrer trop de temps aux tâches administratives, ce qui lui en laisse peu pour ses recherches dans l’espace interstellaire. Cela me paraît terrible. Il devrait pouvoir disposer, ai-je suggéré, d’un vice-président ou d’une personne qui aurait pour tâche de le soulager des questions de personnel, de salaires ou de moral du laboratoire.

Extrait de Through Wood and Dale, Londres, 1998

Notes

[1(1913- 2012) ; directeur de l’observatoire astronomique de Jodrell Bank dans le Cheshire (1951-1981) ; professeur de radio-astronomie, époux de Mary Joyce Chesterman.


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