Saint François mourut en 1226, à l’âge de 43 ans, épuisé d’austérités. Sur son lit de mort , il demanda pardon « à son pauvre frère âne, son corps » pour les épreuves qu’il lui avait infligées. Il avait vu son groupe d’humbles compagnons devenir une grande institution et abandonna le contrôle de l’ordre en 1220, avec une parfaite simplicité. Il avait conscience de ne pas être un administrateur. Deux ans après sa mort, il fut canonisé et presque aussitôt ses disciples entreprirent la construction d’une grande basilique à sa mémoire. Avec ses églises supérieure et inférieure, imbriquées dans le flanc raide de la colline, elle est tout à la fois une prouesse d’ingénierie et un chef d’œuvre d’architecture gothique. La décorèrent tous les grands peintres italiens des XIIIe et XIVe siècles, à partir de Cimabue, qui en firent l’église la plus riche, la plus évocatrice d’Italie. Étrange mémorial au pauvre petit homme dont la citation favorite était : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids : mais le Fils de l’Homme, lui, n’a pas où reposer la tête. » [1] ! Mais le culte qu’avait saint François de la pauvreté ne pouvait évidemment lui survivre ; il ne dura même pas de son vivant. L’Église le rejeta officiellement : elle faisait déjà partie du système bancaire international qui naquit dans l’Italie du XIIIe siècle. Ceux des disciples de François, les Fraticelli, qui étaient restés fidèles à sa doctrine de pauvreté furent dénoncés comme hérétiques et brûlés sur le bûcher. Et durant les sept siècles suivants le capitalisme n’a cessé de grossir pour atteindre ses monstrueuses proportions actuelles. On pourrait penser que saint François n’a pas eu la moindre influence car même les réformateurs humains du XIXe siècle qui l’invoquaient parfois ne souhaitaient pas exalter ou sanctifier la pauvreté mais bien l’abolir.
Et pourtant, sa conviction que nous devons, pour affranchir l’esprit, dépouiller tous nos biens terrestres fut partagée par tous les grands maîtres religieux – en Orient comme en Occident – sans exception. C’est un idéal auquel les esprits les plus remarquables reviendront toujours, quelque impossible qu’il soit en pratique. En mettant en œuvre cette vérité avec tant de simplicité et de grâce, saint François la fit entrer dans la conscience européenne. Et en se libérant du poids des possessions, il ouvrit une perspective qui prendrait un nouveau sens à la fin du XVIIIe siècle grâce à la philosophie de Rousseau et Wordsworth. Ce n’est que parce qu’il ne possédait rien que saint François pouvait éprouver une fraternité sincère avec toute la Création, non seulement les créatures vivantes, mais frère Feu et sœur Vent.
Bruxelles, 2021, pp. 80-1.
[1] Lc. 9. 58