Guillaume Villeneuve, traducteur
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L’audace de la contre-Réforme

vendredi 19 mars 2021, par Guillaume Villeneuve


Les dirigeants de la restauration catholique prirent la décision inspirée de ne pas tenter de rencontrer le protestantisme à mi-chemin d’aucune de ses objections, mais bien plutôt de s’enorgueillir des doctrines très énergiquement, parfois très logiquement il faut l’admettre, répudiées par les protestants. Luther avait répudié l’autorité papale : très bien, on ne devait pas ménager ses efforts pour affirmer haut et fort que saint Pierre, premier évêque de Rome, avait été désigné par Dieu lui-même pour être le vicaire du Christ sur la terre. Depuis Érasme, les grands esprits du Nord avaient déprécié les reliques : très bien, on exalterait leur importance de telle sorte que les quatre piliers de la basilique St-Pierre elle-même sont de gigantesques reliquaires. L’un d’eux renferme une partie de la lance qui transperça le flanc du Seigneur ; devant lui se trouve la statue qu’a faite Le Bernin de Longin, les yeux levés dans un geste de révélation éblouie. La vénération des reliques était liée au culte des saints, lequel avait également été réprouvé par les réformés. Très bien, on rendrait les saints encore plus présents et réels à l’imagination, en reproduisant tout particulièrement leurs souffrances et leurs extases.

C’est ainsi que l’Église exprima, avec un luxe d’imagination, le plus intime des pulsions humaines. Elle recelait une autre grande force qu’elle tenait, si l’on veut, de la civilisation méditerranéenne ou d’un legs de la Renaissance païenne : elle ne redoutait pas le corps humain. L’Assomption de la Vierge du Titien, tableau baroque ayant un siècle d’avance sur son temps, a été réalisé au même moment que ses grandes célébrations du paganisme. Dès le début du XVIe siècle, Titien avait conféré son immense autorité à cette conjugaison du dogme et de la sensualité ; et une fois passée la première influence puritaine du concile de Trente, l’œuvre de Titien put inspirer un Rubens (qui en fit de superbes copies) comme Le Bernin. Chez eux, le conflit entre chair et esprit est admirablement résolu. Il serait difficile d’imaginer une présence au physique plus réconfortant que la figure berninesque de la Charité sur le tombeau d’Urbain VIII. Et dans son tableau d’un sujet fort peu protestant, Les pécheurs sauvés par la pénitence, Rubens a atteint une noble sensualité, en parfaite harmonie avec une foi de charbonnier, que ce soit dans la Madeleine repentante ou même dans la figure du Christ.

Bruxelles, 2021, pp. 148-9.


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