Balthasar Neumann et Tiepolo

Balthasar Neumann eut cette chance que les décorations peintes de ses plus beaux intérieurs ne furent pas l’œuvre des aimables peintres de plafond du cru mais celle du plus grand décorateur du moment, le Vénitien Giovanni Battista Tiepolo. Et c’est dans l’un des grands édifices de Neumann, la Résidence des princes-évêques de Würzburg que Tiepolo exécuta son chef d’œuvre, l’immense plafond de l’escalier. Son décor représente les quatre continents, thème qui avait facilement remplacé les allégories de la foi chrétienne jadis de mise ; à considérer ces brillantes inventions, on peut joyeusement se demander quel continent a le mieux inspiré l’artiste : l’Afrique, avec ses autruches, ses chameaux et ses négresses dédaigneuses ? ; l’Amérique aux filles ravissantes, coiffées de plumes et chevauchant des crocodiles ? ; ou l’Asie avec ses tigres et ses éléphants ? Quelque part à l’arrière plan de l’Asie, on voit une colline nue sommée de trois croix vides. L’évêque la remarqua-t-il jamais ? D’autres spectacles plus gratifiants s’offraient à lui car sa résidence est environ deux fois plus grande que le palais de Buckingham et remplie, dans chaque pièce de l’étage noble, de splendides décors. On ne peut s’empêcher de se demander quelles dîmes et taxes durent payer les paysans de Franconie pour que leur évêque et seigneur se traite si bien. Mais l’on doit reconnaître que nombre des dirigeants de petites principautés allemandes – évêques, ducs, électeurs – étaient en fait des hommes remarquablement cultivés et intelligents. Leurs ambitions rivales profitèrent bien davantage à l’architecture et à la musique que l’obscurité démocratique des Hanovre en Angleterre. Le mécénat de la famille Schönborn, dont l’un des membres fut à l’origine de la Résidence, n’a rien à envier à celui des Médicis.

Bruxelles, 2021, pp. 180-1.