Guillaume Villeneuve, traducteur
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L’homme, la femme et le voile en Islam

samedi 23 janvier 2021, par Guillaume Villeneuve


Dans une maison du centre de San’a, je grimpai l’escalier vers une autre pièce juchée sur le toit, plus fastueuse que la mienne. En montant, je criai « Allah, Allah ! » pour prévenir les femmes de ma présence. C’est peut-être le lieu de préciser ici, s’il le faut, que le présent livre est très masculin. En tant qu’homme, je suis exclu de la société des femmes, comme elles le sont de celle des hommes. Les étrangers tendent à voir dans ce système duel, parallèle, une forme de répression. L’idée n’effleure jamais la plupart des femmes yéménites. Elles savent qu’elles exercent le pouvoir dans maintes sphères, notamment dans le choix des partenaires de mariage ce qui, dans un système endogame, leur donne une influence majeure dans la distribution des richesses. Les femmes ne jouent qu’un petit rôle dans le domaine public comme ce fut le cas en Occident jusque très récemment ; du moins ont-elles le droit de conduire une voiture, de siéger au Parlement, de devenir haut-fonctionnaire au contraire de l’Arabie saoudite. Mais c’est dans le royaume privé de la maison que la femme exerce sa domination, en pratique sinon en théorie ; il arrive souvent que les hommes se réunissent pour mâcher du qat ensemble parce que des femmes de passage ont pris possession de leurs foyers.

Le voile, si lourd de signification symbolique pour les Occidentaux, n’est qu’un article d’habillement parmi d’autres pour les Yéménites. S’il n’est pas une protection essentielle contre le froid, n’est-ce pas aussi le cas des bas, des soutien-gorges et des cravates ? Les observateurs occidentaux superficiels, pour qui le sharshaf noir est déshumanisant et assimilable à un bâillon, permettent à leur obsession symbolique de les aveugler complètement. Sous ces usages de se couvrir le visage ou les cheveux, il y a en effet des concepts arabo-islamiques d’honneur et de pudeur que l’Occident ne partage pas ou plus. La question de savoir quoi cacher – visage, poitrine, chevilles, pieds d’un piano de concert – n’est pas de l’ordre de l’intelligence mais de la sensibilité. Négociant en Turquie, Sir Henry Blount a écrit des Turcs, au XVIIe siècle, qu’ils vivaient « selon une autre sorte de civilité, différente de la nôtre, mais non moins affirmée. » Ce message n’est toujours pas compris. Le voile est bien un symbole puissant, mais c’est celui du refus ou de l’incapacité occidentale à comprendre le monde arabe. Si le rideau de fer a fini par se lever, le voile de mousseline tient encore et probablement pour toujours.

Yémen, Bruxelles, 2021, pp. 42-3.


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