Lemuel Gulliver, Yahoo - homme - de passage chez les nobles Houyhnhnms - les chevaux - leur en explique les turpitudes.
Mon maître m’entendit avec toutes les apparences du malaise ; douter ou ne pas croire sont attitudes si rares dans ce pays que les habitants ignorent comment se comporter en de telles circonstances. Et je me rappelle qu’en de fréquentes conversations avec mon maître sur la nature humaine dans d’autres régions du monde, lorsque j’avais eu l’occasion d’évoquer le mensonge et le travestissement de la vérité, j’avais eu le plus grand mal à m’en faire comprendre ; bien qu’il eût par ailleurs un jugement très sûr. Car il raisonnait ainsi : le rôle d’une langue est de nous permettre de nous comprendre et d’obtenir des informations sur des faits ; or si quiconque dit la chose qui n’est pas, ces buts ne sont pas atteints ; car comment dire qu’on se comprend au sens strict du mot ? Et loin d’obtenir une information, ce qu’on entend est pire que de l’ignorance ; on est induit à voir noir ce qui est blanc ; court ce qui est long. Voici tout ce que lui évoquait cette faculté de mensonge, si parfaitement comprise et universellement pratiquée par les créatures humaines.
Les Voyages de Gulliver, Au Pays des Houyhnhnms, Paris, 1997, 2014, page 319.