La gauche et la guerre

Les animaux ne se tuent que lorsqu’ils ont faim. Nous tuons parce que nous avons peur de notre propre ombre, nous avons peur de devoir reconnaître la fausseté de nos glorieux principes en faisant preuve d’un peu de bon sens. Aujourd’hui je n’ai plus aucun principe – je suis un hors-la-loi. Je n’ai plus qu’une ambition – me faire passer assez de biture derrière la cravate chaque jour afin d’oublier à quoi ressemble le monde. Je n’ai jamais approuvé ce système. Vous ne me convaincrez pas que j’ai assassiné tous ces Allemands afin de faire advenir ce satané merdier. Non monsieur, je refuse d’y avoir aucune part. Je m’en lave les mains. J’en secoue la poussière de mes pieds. Maintenant, si ça fait de moi un mauvais citoyen, eh bien j’en suis un. Et après ? Croyez-vous que si je courais partout comme un chien enragé, en suppliant qu’on me donne une massue et un fusil pour que je me remette à assassiner en tous lieux, croyez-vous que cela ferait de moi un bon citoyen, assez bon, veux-je dire, pour voter en faveur des Démocrates ? Je suppose que si je le faisais, je pourrais leur manger dans la main, hein ? Eh bien, je ne veux manger dans la main de personne. Je veux qu’on me laisse tranquille ; je veux rêver mes rêves, croire comme je croyais jadis, que la vie est bonne et belle, que les hommes peuvent vivre ensemble dans la paix et l’abondance. Aucun fils de pute sur terre ne me fera croire que, pour améliorer la vie, on doive d’abord tuer de sang-froid un million ou dix millions d’êtres. Non monsieur, ces salauds n’ont aucun cœur. Je sais que les Allemands ne sont pas pires que nous, et Bon Dieu, je sais d’expérience que certains au moins sont fichtrement meilleurs que les Français ou les Anglais.

Extrait de « Le vétéran alcoolique au crâne en planche à laver », in La Sagesse du cœur Paris, 2016.