Passant de maison en maison, de fenêtre en fenêtre, mon espoir éperdu est d’apercevoir une femme se souhaitant bonne nuit dans un miroir fendu. Si seulement je pouvais saisir cette ultime expression avant que la lumière ne soit soufflée !
Dans tout le pays, des lieux sont réservés où les hommes et les femmes tressautent et dansent sur des lits de pierre, leurs sourcils enfiévrés dégouttent de sueur, leurs cerveaux embrouillés débordent d’espoirs futiles et de rêves vengeurs... Je revois encore cette petite ville du Péloponnèse dont la tour-prison domine le port ; tout repose dans un sommeil profond sauf cet endroit hideux, cage de pierre et de fer qui rougeoie d’une lumière atroce, comme si les âmes mêmes des condamnés étaient enflammées. Au pied des murailles, où s’achevaient toutes les allées tortueuses, je vis un couple enfermé dans une étreinte éternelle. Non loin, picorant béatement le bosquet, était attaché un bouc. Je les regardai quelque temps, le bouc et les amants oublieux, puis flânai jusqu’au quai où un vieux loup de mer toqué se baignait les pieds. Son regard, rivé sur la distante Argos, était celui d’un homme espérant apercevoir la toison d’or.
Dans leur solitude, dans leur rêve d’amour ou de manque d’amour, les êtres perdus sont toujours en train d’errer au bord de l’eau. Dans l’immense errance de la nuit, l’agonie sifflante des tourmentés est apaisée par le clapot du plus mince cours d’eau. La tête, vidée de tout sauf du clapotis des vagues, se tranquillise. Voguant sur les eaux, l’esprit naguère harcelé replie ses ailes.
Les eaux de la terre ! Qui aplanissent, nourrissent, réconfortent. Eaux baptismales ! Après la lumière, l’élément le plus mystérieux de la création.
Tout passe avec le temps. Les eaux demeurent.
Février-avril 1957
Le monde du sexe, Bartillat, Paris, 2013.