Guillaume Villeneuve, traducteur
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Bertrand Russell, véritable intellectuel

dimanche 5 avril 2009, par Guillaume Villeneuve


Songez à Bertrand Russell, qui est l’une des figures intellectuelles du XXe siècle, à tous les points de vue. Il fut l’un des très rares intellectuels de premier plan à s’opposer à la Première Guerre. On le conspua et on le jeta en prison, comme ses pairs en Allemagne. À partir des années 1950, particulièrement aux États-Unis, il fut amèrement critiqué et attaqué comme anti-américain. Pourquoi ? Parce qu’il défendait des principes que d’autres intellectuels acceptaient, eux aussi, mais qu’en plus il agissait selon ces principes.

Par exemple, Bertrand Russell et Albert Einstein, pour considérer un autre intellectuel de premier plan, étaient, au fond, d’accord sur un sujet comme les armes nucléaires. Ils pensaient que ces armes risquaient de détruire l’espèce. Ils signèrent des déclarations communes. Mais ensuite ils agirent différemment. Einstein regagna son laboratoire à l’Institute for Advanced Studies de Princeton pour travailler sur les théories unitaires. Russell, lui, descendit dans la rue. Il participa aux manifestations contre les armes nucléaires. Il devint très actif dans l’opposition à la guerre du Viêt-Nam, dès le début, à un moment où il n’y avait pour ainsi dire pas d’opposition. Il essaya aussi d’organiser cette contestation, par des manifestations et la formation d’un tribunal. On le critiqua violemment.

De l’autre côté, Einstein était une figure de saint. Ils partageaient le même point de vue, mais Einstein ne ruait pas dans les brancards. C’est assez fréquent. Le New York Times et le secrétaire d’État Dean Rusk, d’autres encore, harcelèrent Russell dans les années 1960. On ne le comptait pas au nombre des "intellectuels publics," mais au nombre des vieux fous.

De la propagande, Paris, 2003, pp. 249-50.


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