Les lapins gambadaient de-ci de-là, conversaient en petits groupes et jetaient leurs ombres sur le pré. Bien que j’en portasse déjà trois, je déclarai qu’il me paraissait honteux de les tirer quand ils avaient l’air si gais, si décoratifs. Un instant plus tard, j’entendis le baron Pips rire doucement ; je lui en demandai la raison.
- C’est que vous me rappelez le comte Sternberg, me dit-il.
Il s’agissait d’un Autrichien de vieille noblesse, un peu simple d’esprit. Quand il fut sur son lit de mort, son confesseur lui dit que l’heure était venue de faire une confession complète. Après s’être creusé la cervelle un instant, le comte déclara qu’il n’arrivait pas à se rappeler quoi que ce fût à confesser.
- Allons, allons, comte ! s’exclamait le prêtre ; vous avez sans doute commis quelques péchés dans votre vie. Réfléchissez un peu.
Après un long silence effrayé, le comte finit par répondre, à contrecœur :
- Habe Hasen geschossen - j’ai tué des lièvres - et il expira.
Le temps des offrandes, Paris 1991, revu et recueilli dans la trilogie complète du voyage à pied de Londres à Constantinople puis au Mont Athos, Dans la nuit et le vent, Nevicata, Bruxelles, 2014.