Guillaume Villeneuve, traducteur
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Garsington, un autre Sceaux

samedi 21 juin 2008, par Guillaume Villeneuve


Pendant ce temps, Ottoline avait quitté Londres et commencé d’établir une cour Renaissance extravagante pour les artistes et les écrivains à Garsington Manor, demeure Tudor bâtie dans la pierre des Cotswolds, sise sur un domaine d’une cinquantaine d’hectares non loin d’Oxford. C’était, comme elle l’écrivit elle-même, un “théâtre où, semaine après semaine, une compagnie ambulante arrivait pour donner sa représentation”. La plupart des bloomsberries se rendaient à Garsington, mais aussi D. H. Lawrence et Aldous Huxley qui, dans leurs romans, caricaturèrent triomphalement leur hôtesse.

Si Garsington était la création flamboyante d’Ottoline, elle en avait également fait un reflet magique des rêves et des illusions de ses visiteurs. Sitôt que ces rêves et ces illusions se dissipaient, les invités se vengeaient d’elle. Quand D. H. Lawrence croyait trouver là un sanctuaire sacré de la résurrection mystique de l’Angleterre, Lytton cherchait la réincarnation de Mme du Deffand et une transsubstantiation miraculeuse de la civilisation française du XVIIIe siècle. Derrière la façade de pierre gris argent, les ormes impérieux et les hautes grilles de fer forgé, il se représente un autre Sceaux, “avec sa succession ininterrompue de divertissements et de conversations - ses soupers et ses baignades, ses concerts et ses bals masqués, ses impromptus dans le petit théâtre et ses déjeuners sur l’herbe sous les grands arbres du parc”.

Lytton voulait qu’Ottoline, à son apogée, fût reconnue comme l’un des guides de la société contemporaine. C’est là, à Garsington, que le Premier ministre, arrivant avec Maynard Keynes, fut annoncé par la formule : “M. Keynes et un autre gentleman.” C’est là que la littérature et les arts pouvaient être appréciés à leur juste valeur. C’est là toujours que Bloomsbury pouvait frayer avec les diplomates et les aristocrates en pratiquant “ces arts difficiles qui huilent les rapports humains - les arts du tact et de la bonne humeur, de la franchise et de la compassion, du compliment délicat et de l’exquis oubli de soi.” Tel était le rêve de Lytton.

Extrait de Carrington, version, abrégée par l’auteur, de son Lytton Strachey, Londres, 1967, 1994, Paris, 1995.


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