Guillaume Villeneuve, traducteur
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En servant le poêle

mardi 29 avril 2008, par Guillaume Villeneuve


NOVEMBRE
 
La bille est sur le billot
sa chute déjà ancienne, l’écorce gonfle
 
au premier coup de scie
mais le cœur est plus dur : si le temps
 
s’incarne quelque part
c’est dans cette dérobade d’une vive traverse -
 
le cercle de chaque décennie n’est battu
que par une tête baissée, l’usure du présent.
 
Suant, rouge, je vais en couper pour un jour,
une pyramide crémeuse d’O
 
avec leurs configurations exactes :
des cartes enroulées que les flammes peuvent gratter
 
ou sonder, exultant
comme nous sur nos divers plans.
 
DÉCEMBRE
 
Nous arpentons les berges à la recherche de bois flotté
de pieux affranchis de leurs feuilles par les flots -
 
d’une longueur héroïque, secs d’abandon.
Enchevêtrés, presque tressés, la plupart attrapés
 
par un tronc vivant qui les a éperonnés
vers l’immobilité, nous les avions d’abord
 
pris pour des nids - comme si les sangliers
avaient des ailes de soies, avaient apporté chaque bille
 
sous des groins massifs, retroussés, et tout embrouillé.
Tirés d’un coup sec et chargés, nos fagots
 
dansent derrière nous, hampes de chronologie
si denses que nous avons un peu la nausée
 
en atteignant la voiture. J’ai lu
comment la plupart des matins du monde
 
se passent de la sorte, mais j’ai trébuché
sur dix milles pour le rameau tordu.
 
Plus tard, nous nous étendons et parlons à la chaleur
que nous pensons avoir gagnée sur nos épaules âpres...
 
nous rayonnons. Ma vie est un effeuillage d’interrupteurs,
quand roulent les turbines mousseuses.
 
JANVIER
 
Les heures sont consacrées : la couronne de fer
sans cesse levée, la cendre révèle
le nom forgé quand je souffle... Godin
 
Wotan dans le feu pour un hiver sévère.
Les flammes qui brûlent mes phalanges accepteraient
des tombereaux, des armées entières de bois
 
si nous l’avions ; des durs de chêne-vert,
des marronniers vigoureux vidés de sève,
la sauvagerie pétillante de l’enfer
 
devient le clapotement de chaleur devant lequel s’accroupir,
mains écartées. Combien de millénaires
compte cet autel, nourri de braises
 
si hautes vers le soir que nous avons trop chaud...
tel une dynastie tardive, impériale
rêvant par mythes, il traîne
 
sa pourpre dans la seule cendre, comblé
des souvenirs de la flamme primordiale
du carton déchiré ; le craquement de la barrique ; les brusques
 
densités résineuses du laurier.
 
FÉVRIER
 
Pendant qu’on pulvérise Basra, je souffle
sur la vieille cendre pour qu’elle rougeoie
ou renverse le plateau, regarde
le nuage produit dériver pâle
vers le néant, comme l’histoire.
 
Abou Nawas, Hassan al-Basri -
vieux schnoques mystiques
tels des rince-doigts comparés à l’immédiate
radio, vieilles voyelles
des Abbassides, antique cendre soufflée
 
rougeoyant dans les yeux d’un homme
pauvre en humanité...
Comme elle est fine cette poussière
couleur d’huître, cette fumée renversée
qui flotte avec majesté derrière les arbres calmes.

Traduction inédite (mars 2000) de Tending the Stove, extrait de From the Neanderthal, Londres, 1999.


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