Guillaume Villeneuve, traducteur
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Le Multivers

dimanche 14 octobre 2007, par Guillaume Villeneuve


Le géant de Cerne répondit aussitôt, en glissant vers son interlocuteur sur ses fesses, ses talons et ses mains :

- Nous pourrions dire, et je vous le dis, mon cher monstre spatial, je vous le dis hic et nunc et le dirai aussi longtemps que je suis moi et que vous êtes vous, que votre grande erreur, infinité spatiale, réside dans votre manière de vous isoler de tous les autres êtres de notre étonnant Multivers. Vous êtes peut-être une infinité spatiale, vous contenez peut-être une infinité d’air vide, mais vous ne devez pas oublier que vous ne pouvez éviter de contenir plus de choses extérieures que vous ne savez, plus qu’aucune personne ou créature, ange, démon ou monstre ne peut en savoir ! C’est faire une grande erreur philosophique, mon bon monstre spatial, qu’essayer de s’isoler, quand on n’est rien qu’espace et air, du reste du Multivers. Ce n’est pas parce que vous, le monstre spatial, et moi, le géant de Cerne, nous trouvons à ce moment précis résider dans ce petit monde artificiel et solitaire créé par mes amis de Foghorn et moi-même, et parce que nous ne voyons d’ici rien que du vide, que nous avons le droit de l’isoler de ce qui doit, nous le savons, lui être relié en d’autres points de son étendue. Nous connaissons le nombre de galaxies qui l’encombrent aux alentours de notre terre ; quelle prétention de supposer que, parce que nous ne pouvons voir d’ici, vous, le monstre spatial et moi, le géant de Cerne, que du vide, il n’y a pas, juste au-delà de notre champ de vision, de grandes masses de galaxies dont les astronomes terrestres n’ont jamais rien su. Que quelques masses de substance, divisées ou pas en entités planétaires, épaississent et solidifient l’immense vide des régions qui échappent encore à notre inspection, semble une idée si naturelle et vraisemblable que nous serions d’affreux fanatiques de l’écarter sans appel. De surcroît, il faut se souvenir qu’il y a d’autres possibilités, beaucoup plus inquiétantes : par exemple, on pourrait imaginer, en ce moment où l’on ne voit rien venir, que cet avion, Omega, parti d’un avant-poste australien, pourrait aller buter, en regagnant l’espace, dans un conglomérat de terre qui, habité ou pas, remplirait toute l’étendue jusqu’alors vide.

- Oh ! Je ne peux supporter cette idée ! s’écria le monstre spatial d’une voix rauque.

- L’Univers n’existe pas pour notre plaisir, murmura le géant de Cerne.

Extrait du chapitre XXVI de Tout ou Rien, Paris, 1988. Épuisé.


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