Guillaume Villeneuve, traducteur
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L’Irlande avec Emily

samedi 13 janvier 2007, par Guillaume Villeneuve


Les cloches sonnent à toute volée dans les allées,
Blanche la brume sur l’herbe.
À présent les Julia, les Maeve, les Maureen
Longent les champs pour aller à la messe.
Des arbres racornis aux petites pommes vertes,
Gardent la chapelle proprette et blanchie à la chaux,
Des portes dorées, un chambranle grené,
Des fenêtres en ogive richement historiées
De vitraux polychromes.
 
Vois-tu les congrégations de noir voilées
Fixer les vêtements liturgiques brodés,
Murmurer devant les stations peintes
Quand Ton Sacré Cœur révèle
La grasse Kildare aux champs parfumés,
Roscommon, fluette dans les ombres des frênes,
Westmeath se mirant dans son lac,
Leix tentaculaire gardée par ses collines,
Toutes agenouillées dans un halo d’argent ?
 
Entre ifs et chèvrefeuille, murs et boules-de-neige,
Enfoncés dans les orties reposent les fidèles ;
Les lieues serpentines de sureau fleuri,
Le sycomore vêtu de lierre,
Les ruines de domaines déserts,
Cernés de tourbières, ceints de ronces -
Des villes riches ou des villes pauvres comme
Elles, oh ! il y en a des comtés pour
Nous protéger au royaume de l’Ouest.
 
Côte rocheuse, lointaine et étrangère,
Collines pierreuses ruisselant sur l’espace,
Affleurement pierreux du Burren,
Pierres dans tous les lieux fertiles,
Petits champs piquetés de rochers,
Bas-côtés de pierre grise tachetés de safran,
Appentis aux murs de pierres, chaumés de roseaux,
Où un peuple de l’âge de pierre engendre
Les ultimes rejetons de l’âge de pierre européen.
 
A-t-elle tenu, la chaleur de juin ?
Elle asséchait les mares laissées par la mer,
Quand nous filions ensemble à bicyclette
Sur les allées inondées de fuchsias.
Jusqu’à ce que se dresse, abrupte et solitaire,
Une abbaye ruinée, rien que son chœur,
Encroûtées de lichens, caressées par le temps,
Surgissaient les arches, larges, splendides,
Romanes contre le ciel.
 
Là, sous l’égide d’un pinacle,
Une famille éteinte attend
Une résurrection de l’Église d’Irlande
Près des portes rompues et rouillées.
Laine de mouton, paille et fiente recouvrent
Les tombes des vieilles filles, des libertins et des amants,
Dont le formidable mausolée
Chante son propre Te Deum par la mer porté
Entre les ardoises descellées.

Extrait de New Bats in old Belfries (1945), recueilli dans l’Anthologie bilingue de la poésie anglaise, Paris, 2005


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