Guillaume Villeneuve, traducteur
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L’abbé de Saint-Wandrille, Dom Gabriel Gontard

samedi 30 mai 2015, par Guillaume Villeneuve


Philippe de Champaigne, opinai-je, aurait été le portraitiste idéal de l’abbé lui-même. Le Révérendissime Père Abbé, Dom Gabriel Gontard, possède toute la dignité, la sérénité, l’allure* d’un prince de l’Église du XVIIe siècle.(...) La charge d’abbé est donc de la plus haute importance. Il est personnellement responsable du bonheur temporel et spirituel de sa communauté, de sa discipline et de son économie, de ses rapports avec le reste de l’Église et le monde extérieur. C’était un soulagement, après toutes ces considérations, de se rendre compte que le supérieur de mon abbaye était accessible. Il recelait un charme doux, un peu hésitant, qui se muait aisément en enthousiasme pour aborder les sujets qui l’intéressaient - la théologie, l’inviolabilité du rituel primitif, l’architecture, les arts, le mysticisme, l’archéologie et l’histoire. C’est un érudit célèbre dans l’univers monastique et je repense avec un vif plaisir à nos promenades sous les marronniers, ou parmi les ruines de l’ancienne église abbatiale, à la voix calme à mes côtés qui m’exposait, avec une telle clarté, la nature de la Grâce, les complexités des saints Thomas d’Aquin et Bonaventure, ou les valeurs ontologiques et morales du bien et du mal ; je revois encore le charmant sourire, la virtuosité professorale avec lesquels il opposait, anéantissait ou conciliait des exégèses contradictoires. Souvent, comme si c’était un phénomène tout à fait normal, sa voix adoptait ex tempore [1] le doux latin ecclésiastique du Vatican ; cette réanimation si naturelle d’une langue morte depuis si longtemps m’inspirait à chaque fois le même spasme de ravissement.

Extrait d’Un temps pour se taire, pp. 44-5, Bruxelles, 2015.

Notes

[1« sur-le-champ » (NdT).


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