Twaneh, qui déborde d’un sommet épineux, est un village au charme rayonnant, peut-être renforcé par le sentiment de précarité qui y ombre chaque minute. Samedi dernier régnait un soleil vierge de début d’hiver, assez semblable à celui de notre nouvelle. Chaque fente, chaque fissure, chaque buisson, chaque galet, chaque maison de pierres grossièrement taillées se détachait, dans l’austérité de son contour, sur l’étendue brune de la colline. La plupart d’entre nous ont des souvenirs très vifs de ce lieu : je n’oublierai jamais le jour pluvieux où les colons nous ont tiré dessus et nous ont rossés quand nous sommes venus protéger les villageois qui labouraient leurs champs. Cette fois où nous étions assis au soleil, à l’entrée de la maison de Hafez, à siroter notre thé et envisager les scénarios possibles de l’opération de la semaine suivante - une marche de solidarité vers Tuba, juste derrière la colline. La veille, des colons de l’”avant-poste” de Havat Maon avaient attaqué les villageois une nouvelle fois ; trois Palestiniens avaient été arrêtés par la police sous de faux prétextes avec l’un des bénévoles internationaux basés à Twaneh. C’est Ali, notre ami de Tuba, digne, toujours positif, qui nous avait rapporté l’histoire : ses enfants empruntent tous les jours le sentier menant à Twaneh et à leur école, en bravant la menaçante Havat Maon ; sa fille a été grièvement blessée à l’œil lors d’une attaque il y a deux ans.
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Aujourd’hui les choses prennent une autre tournure, mais s’agissant de la vie quotidienne d’un Palestinien des Territoires occupés, de moi-même ou d’un de mes pairs qui sommes devenus des quasi témoins de son existence, le texte implacable de Yizhar garde une actualité déplaisante. Si l’on se trouve habiter Twaneh, Susya ou Tuba ou tel autre d’une centaine de villages, la menace de l’expulsion garde toute sa force. Elle s’effectue, en général, beaucoup plus lentement que les cruautés soudaines de 1948. Nous avons aussi quelque espoir de pouvoir l’empêcher en utilisant les recours dont nous disposons - les médias, les tribunaux (mais leur passif est catastrophique en ce qui concerne les Territoires occupés), notre présence physique sur place, voire nos paroles car les paroles elles-mêmes peuvent être utiles. En attendant, la réalité quotidienne est sombre. La Susya palestinienne - treize familles qui s’accrochent au dernier morceau de leurs terres historiques sur une colline en face de la colonie israélienne de Susya - est menacée par des ordres de démolition qui pèsent sur toutes ses misérables cabanes et ses tentes. Ces villageois palestiniens sont des quadruples ou quintuples réfugiés - entassés par des soldats et, semble-t-il, leurs copains colons, dans des camions au beau milieu de la nuit qui les ont balancés sur la route à des kilomètres de là (écho de Yizhar). À chaque fois, ils ont regagné ce qui leur reste de maison. L’énorme machinerie du système israélien d’occupation - les tribunaux militaires, la bureaucratie, la commission (dominée par les colons) qui délivrent, ou plutôt refusent, les permis de construire, les politiciens, les soldats postés au sud d’Hébron - tout cela se concentre sur cet endroit minuscule, comme si la seule présence de ces survivants palestiniens était insupportable à ceux qui leur ont pris leur terre. À Twaneh, les colons ont répandu du poison dans les champs palestiniens, dans l’espoir de décimer les troupeaux de moutons et de chèvres grâce auxquels subsistent les villageois - dans l’espoir de les obliger à partir. À Tuba, singulièrement malchanceuse d’avoir Havat Maon pour voisine, la simple survie physique est un défi quotidien. Tuba est coupée de toutes les routes, totalement isolée, sa population soumise à d’incessantes déprédations ; toute la zone du village et ses terres, de même que l’essentiel des collines au sud d’Hébron, sont sous le coup d’un ordre d’expropriation générale censé transformer la région en ce qu’on appelle une “zone de tir” en hébreu, c’est-à-dire un terrain d’entraînement pour l’armée. La possibilité de l’exil les menace. La Cour suprême ne s’est pas encore prononcée.
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Postface (pp. 103-4 et 110-112) à Hirbat Hiza, de S. Yizhar, Galaade, 2010