Guillaume Villeneuve, traducteur
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Extrait de la préface à Osbert Lancaster donnée au traducteur

mercredi 10 janvier 2007, par Guillaume Villeneuve


Osbert Lancaster naquit deux jours avant moi, soit le 4 août 1908. Pour cette raison, et celle-là seulement, nous nous baptisions "presque jumeaux". Nous étions venus au monde sous le règne d’Édouard VII, élément qui me semble avoir été déterminant chez Osbert. À plus d’un titre, il incarnait l’ère édouardienne, à ses yeux époque de qualité et d’individualisme. Il s’habillait en édouardien, en observait les modes et les mœurs. Et même les dessins auxquels il doit sa célébrité sont composés du nombre minimal de traits - dans le plus pur style édouardien, aujourd’hui qu’il est possible de les comparer à ceux de ses successeurs. Bien qu’ils n’aient rien d’une imitation servile, ils s’inscrivent dans la tradition d’un artiste qu’Osbert vénérait, sir Max Beerbohm. Sir Osbert (car il fut anobli en 1975), que ce fût volontaire ou involontaire, en vint à ressembler à son héros : grosse tête ronde sur un corps trapu, énormes yeux globuleux, épais sourcils expressifs et moustache hérissée qu’il ne cessait de tourmenter. Comme Max Beerbohm, il était impeccablement habillé, dans un style urbain par opposition au style campagnard. Il portait des costumes chics, des chaussures étincelantes, la pochette généreusement débordante, trois centimètres de manchette visibles et l’œillet désépalé à la boutonnière. On peut juger de la perfection du résultat par les nombreuses caricatures qu’il fit de lui-même. Sans fatuité ni pompe, plutôt avec dérision, il exploitait au mieux son aspect singulier.

[…]

Sa prose était aussi maîtrisée que ses dessins et ses peintures. Influencée par Gibbon, Macaulay et Proust, elle est ample, mesurée, majestueuse, d’un raffinement intraitable, mais nulle part davantage que dans ses deux volumes autobiographiques, De mémoire (1953) et Clin d’œil à l’avenir (1967). Évocations d’abord descriptives, ces deux livres sont campés dans le Notting Hill de l’enfance, microcosme peuplé de pères satisfaits en jaquette et haut de forme, de mères corsetées portant boa et chapeau en roue de charrette, théories dominicales sur le chemin de l’office du matin puis des vêpres, suivies d’un garçonnet aux yeux en boule de loto, aussi fasciné par le monde adventice des joueurs d’orgue de Barbarie, des vendeurs de muffins, des cochers de cabs ou des charlatans que par les excentricités de ses solennels aînés.

Paris, 1996, Tous droits réservés.


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