Guillaume Villeneuve, traducteur
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La prise de Bagdad par les Mongols en 1258

dimanche 14 janvier 2007, par Guillaume Villeneuve


À la fin de 1257, l’armée mongole quitta sa base de Hamadan. Baïchu traversa le Tigre à Mossoul avec ses troupes et descendit la rive occidentale. Kitbuqa et l’aile gauche pénétrèrent dans la plaine d’Irak au plein est de la capitale tandis que Hulagu et le centre de l’armée avançaient par Kermanshah. Le gros de l’armée du calife s’ébranlait, commandée par Aibeg, à la rencontre de Hulagu lorsqu’elle apprit l’approche de Baïchu depuis le nord-ouest. Aibeg retraversa le Tigre et tomba sur les Mongols le 11 janvier 1258, près d’Anbar, à cinquante kilomètres de Bagdad environ. Baïchu feignit une retraite et attira les Arabes en terrain marécageux. Il envoya des ingénieurs couper les digues de l’Euphrate derrière eux. Le lendemain, la bataille reprit. L’armée d’Aibeg fut repoussée dans les champs inondés. Seuls Aibeg et ses gardes du corps parvinrent à s’échapper à travers les eaux jusqu’à Bagdad. L’essentiel de ses troupes périt sur le champ de bataille. Les survivants s’enfuirent dans le désert où ils se dispersèrent.

Le 18 janvier, Hulagu parut devant les murailles orientales de Bagdad ; dès le 22, il encerclait totalement la ville, avec des ponts de bateaux construits sur le Tigre en aval et en amont des murs de la ville. Bagdad s’étendait de part et d’autre du fleuve. La ville occidentale, qui avait renfermé le palais des premiers califes, était désormais moins importante que l’orientale où se concentraient les bâtiments du gouvernement. Ce fut contre les murailles de l’Est que les Mongols lancèrent leurs plus fortes attaques. Al-Mustasim commençait à perdre espoir. À la fin de janvier, il envoya le vizir, qui avait toujours recommandé la paix avec les Mongols, en même temps que le patriarche nestorien - dont il espérait qu’il aurait l’oreille de Dokuz Khatun - essayer de traiter avec Hulagu. On les renvoya sans audience. Après un effroyable bombardement au cours de la première semaine de février, le mur oriental commença de s’effondrer. Le 10, alors que les troupes mongoles grouillaient déjà dans la ville, le calife apparut et se rendit à Hulagu, entouré de tous les officiers supérieurs de l’armée et des hauts fonctionnaires de l’État. On leur ordonna de déposer les armes puis on les massacra. Seule la vie du calife fut épargnée jusqu’à ce que Hulagu pénètre dans la ville et son palais le 15 février. Lorsqu’il eut révélé au conquérant les cachettes de tous ses trésors, le calife fut mis à mort lui aussi. Pendant ce temps, les massacres se poursuivaient dans toute la cité. Ceux qui se rendaient sur-le-champ n’étaient pas plus épargnés que ceux qui résistaient. Femmes et enfants périssaient avec les hommes. Un Mongol découvrit dans une ruelle quarante nouveaux-nés dont les mères étaient mortes. Miséricordieux, il les massacra, sachant qu’ils ne pourraient survivre si personne ne les allaitait. Les troupes géorgiennes, les premières à avoir fait irruption dans la ville, étaient particulièrement cruelles. En quarante jours, quelque quatre-vingt mille citoyens de Bagdad avaient péri. Les seuls survivants furent les chanceux dont on ne découvrit pas les cachettes dans les caves, un certain nombre de beaux adolescents, garçons et filles, dont on fit des esclaves, et la communauté chrétienne, qui se réfugia dans les églises et fut épargnée, sur les ordres exprès de Dokuz Khatun.

Vers la fin mars, la puanteur des cadavres pourrissant dans la ville était telle que Hulagu retira ses troupes par crainte des épidémies. Nombreux furent les soldats qui partirent à regret, convaincus qu’il y avait encore des objets précieux à trouver. Toutefois Hulagu possédait à présent le vaste trésor accumulé par les califes abbassides au cours des cinq siècles passés. Après en avoir envoyé une belle part à son frère Mongka, il se retira à petites étapes vers Hamadan, et de là en Azerbaïdjan où il édifia un chateau fort à Shaha, sur les bords du lac Umiah, pour y entreposer tout son or, ses métaux et joyaux précieux. Il laissa Bagdad aux mains de l’ancien vizir, Muwaiyad, avec le titre de gouverneur, et sous l’étroite surveillance de fonctionnaires mongols. Le patriarche nestorien, Makika, reçut de riches dotations et un ancien palais royal pour résidence et pour église. On nettoya et on réaménagea petit à petit la ville et quarante ans plus tard, c’était une ville provinciale et prospère, réduite au dixième de sa taille antérieure.

La nouvelle de la destruction de Bagdad fit une profonde impression par toute l’Asie. Les chrétiens d’Asie se réjouirent en tous lieux. Ils écrivirent triomphants sur la chute de la Seconde Babylone, saluant Hulagu et Dokuz Khatun comme les nouveaux Constantin et Hélène, les instruments de la vengeance divine sur les ennemis du Christ. Pour les musulmans, il s’agissait d’un choc terrifiant et d’un défi. Le califat abbasside était depuis des siècles dépouillé d’une grande partie de sa puissance, mais son prestige moral restait grand. L’élimination de la dynastie et de sa capitale laissait la direction du monde musulman à la merci de n’importe quel ambitieux. La satisfaction des chrétiens ne dura guère. Avant peu l’islam allait reconquérir ses conquérants. Cependant l’unité du monde musulman avait subi un coup dont il ne pourrait jamais se remettre. La chute de Bagdad, qui suivait d’un demi-siècle celle de Constantinople en 1204, mit un terme définitif à cette antique dyarchie équilibrée entre Byzance et le califat sous laquelle s’était si longtemps épanouie l’humanité du Proche-Orient. Le Proche-Orient ne dominerait plus la civilisation.

Histoire des croisades, volume III, livre III, chapitre III


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