Guillaume Villeneuve, traducteur
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Saint Basile

vendredi 29 mai 2015, par Guillaume Villeneuve


C’est ce même ami qui m’a fait connaître, il y a bien des mois, les toutes premières lettres monastiques que nous ayons gardées, celles du grand saint Basile de Césarée. Vivant au IVe siècle, saint Basile fut le premier à transformer les mœurs érémitiques du désert en une vie cénobitique organisée, gouvernée par un système de lois monastiques ; et c’est sur sa législation que saint Benoît modela son code si important, un siècle et demi plus tard. Il est précieux, compte tenu de l’aura de tristesse dont bien des accrétions ont entouré le monachisme aux yeux du monde, de revenir à ces écrits primitifs. « Lumière », « paix » et « bonheur », tels sont les mots, souvent récurrents, que Basile juge les plus propres à qualifier l’atmosphère du cloître ; et il emploie ces mots, non dans le sens spécialisé et souvent éculé qu’ils ont pu acquérir dans l’apologétique et la propagande ecclésiastique, mais dans le sens qu’ils possédaient dans la littérature du monde antique. Ses longues lettres, pour beaucoup adressées à son ami saint Grégoire de Naziance, sont relevées de charme, de légèreté et d’humour. Les phrases d’un grec raffiné sont saupoudrées d’allusions classiques qu’on s’attendrait davantage à trouver sous la plume d’un humaniste du XVe siècle que sous le style d’un docteur de l’Église vivant sous le règne de Julien. Son monastère était érigé sur les flancs des montagnes pontiques dominant l’Euxin, dans un cadre qui paraît très différent des sauvages étendues volcaniques de sa Cappadoce natale. « Là, de fait, écrit-il, Dieu m’a montré une situation parfaitement adaptée à mon goût, de sorte que j’ai vraiment contemplé le lieu même que j’avais souvent l’habitude de me représenter dans mes rêveries et mon oisiveté. Il y a une haute montagne couverte d’une épaisse forêt, arrosée du côté nord par de frais et translucides ruisseaux. À sa base s’étend une plaine doucement inclinée, toujours enrichie par l’humidité tombée des montagnes. Une forêt d’arbres variés aux multiples couleurs - un taillis spontané entourant le lieu - nous sert presque de haie pour l’isoler, de telle sorte que l’île même de Calypso, dont Homère semble mettre la beauté plus haut que tout, est insignifiante en comparaison ». Sa lettre s’achève sur ces mots :« Tu me pardonneras de me hâter comme je le fais vers ce lieu car, après tout, Alcméon lui-même ne put supporter d’errer davantage quand il eut découvert les Échinades. » [1]

Extrait d’Un temps pour se taire, pp. 96-7, Nevicata, Bruxelles, 2015.

Notes

[1L’auteur cite un extrait de la lettre XIV de Basile. Alcméon avait tué sa mère. Les Érinyes le pourchassèrent jusqu’à ce qu’il atteigne un lieu que n’éclairait pas le soleil au moment du forfait. Il s’agissait des îles alluvionnaires créées par l’Achéloüs, les Échinades ou Échines. Voir Homère, Iliade, II, 625 ; Apollodore, III, 86sq. (NdT)


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