Guillaume Villeneuve, traducteur
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Portrait de Cortés

lundi 27 février 2012, par Guillaume Villeneuve


En 1518, Hernán Cortés avait la réputation d’être plein de ressources, capable, doué pour parler et écrire. Il s’exprimait bien, choisissait le mot adéquat en toute circonstance et se montrait agréable dans la conversation. À sa manière, c’était déjà un politicien expérimenté. Il savait, comme tous ceux qui « réussissent », cacher ses véritables intentions jusqu’au jour où le fruit désiré était sur le point de tomber dans sa main. Las Casas le qualifie de « prévoyant ». [1] Jamais il ne perdait son calme.

Ces qualités de retenue cadrent mal avec sa réputation turbulente d’être souvent à couteaux tirés avec le gouverneur. Ce n’était pas le seul paradoxe. Ainsi, Cortés allait scrupuleusement à la messe et priait souvent. Mais il sembla, par la suite du moins, collectionner les conquêtes féminines. [2] Cependant, en 1518, ses talents paraissaient assez saillants au gouverneur pour penser qu’il ferait un bon chef. À l’évidence, il était très observateur. Il pouvait montrer autant d’enthousiasme qu’un Colomb en repérant un nouveau territoire. Mais ses commentaires avaient toujours un but précis. Ses entreprises viseraient à éveiller l’attention du roi de Castille, à cueillir les honneurs aussi bien que la richesse, à agir en prince de la Renaissance, dotant les églises et les monastères : à être en tous points un homme « né dans le brocart. »

Le point faible de Cortés semblait être la chose militaire : il n’avait jamais commandé d’hommes au combat. Ses expériences dans ce domaine se limitaient à deux épisodes honteux de massacres à Santo Domingo et Cuba, sous le commandement de Velázquez. Ce dernier y avait probablement remarqué le sang-froid de son subordonné ; il ne prévoyait pas qu’il devrait livrer de plus grandes batailles que celles livrées par Hernández de Córdoba ou Grijalva.

Ajoutons que Cortés semblait savant. Il avait pu, ou pas, s’inscrire à l’université de Salamanque, mais il y avait suffisamment étudié (ou à Valladolid) pour pouvoir passer pour un homme érudit. Il faisait partie de la poignée de gens – les prêtres exceptés – capables de lire le latin. Sa fonction de notaire à Azúa et à Cuba était évidemment importante : il serait toujours sensible aux subtilités et aux possibilités juridiques des partis qu’il adopterait. Les grands personnages, à l’image d’un Velázquez, se trompent souvent dans leurs jugements sur les Cortés, qu’ils les sur- ou sous-estiment, en partant du principe qu’ils ne peuvent être que subordonnés.

De fait, le gouverneur se trompa dans son jugement sur Cortés parce que celui-ci avait grandi dans son ombre, comme son secrétaire, disciple et conseiller. Dans l’entourage du gouverneur, le jeune Cortés était surnommé « Cortesillo » : un personnage impossible, un cornichon. [3] Le gouverneur se servait du mot criado, domestique, pour décrire leurs relations dans sa correspondance, par exemple dans ses lettres à l’évêque Fonseca ; [4] il est vrai que le mot, à l’époque, était d’acception plus large et désignait le familier, le membre de la maisonnée, quelqu’un qui partageait la vie quotidienne de son maître et connaissait ses engagements politiques et ses affaires personnelles.

Physiquement, Cortés était « de taille moyenne, un peu voûté, sans guère de barbe. » [5] Il avait « une profonde poitrine, pas de ventre digne de ce nom et les jambes arquées. Il était plutôt maigre. » [6] Les autres témoignages dont nous disposons suggèrent qu’il avait une petite tête et qu’il était court sur pattes : environ 1, 60 mètre. [7]

La couleur de ses cheveux reste mystérieuse. Tous conviennent qu’il était pâle de visage. Le seul portrait exécuté sur le vif, une aquarelle d’un artiste d’Augsbourg, Christoph Weiditz qui se rendit en Espagne en 1529, nous montre des cheveux et une barbe blonds. [8] Une médaille commémorative gravée à l’époque – qui paraît être une représentation plus fidèle du conquistador – n’éclaire pas la question si elle nous révèle bien un Cortés « savant et prévoyant », selon la formule de Las Casas. [9] Peut-être est-ce parce qu’il était alors convalescent. L’année suivante, en 1530, son premier biographe, l’humaniste Marineo Siculo, écrivit que sa chevelure était « plutôt rousse. » [10] Quant à Fray López de Gómara, son chapelain dans la décennie 1540, il semble confirmer cet avis : « sa barbe était blonde, ses cheveux longs. » [11] Les commentaires des indigènes mexicains laissent entendre que la plupart des Castillans étaient blonds, même si certains étaient bruns. Bernal Díaz, qui vit Cortés presque tous les jours durant deux ans et demi, écrit que sa barbe était « brune quoique rare et ses cheveux de la même couleur . » [12] On peut supposer que la chevelure du conquistador était brune, avec des reflets roux.

La conquête du Mexique, Paris 2011, pp. 183-5.

Notes

[1Las Casas, II, 475. Bien que le gouverneur l’eût récemment puni (sans doute d’une amende) pour avoir joué aux cartes (Voir les Documents).

[2Voir Garcia del Pilar, in Res (Rayon), II, 216 ; « il assistait avec dévotion à la messe bien qu’on vît en même temps beaucoup de femmes sous son toit. »

[3« Ce cornichon [nonada] de Cortesillo (…) » : c’était l’expression de Salvatierra en 1520 (D del C. I, 406).

[4« un Hernando Cortés, natural de Medellín, criado mio de mucho tiempo » (lettre à Fonseca du 12 octobre 1519) ; et, dans une lettre à Rodriguo de Figueroa (17 novembre 1519), il parlait d’un « certain Hernando Cortés, qui semblait toujours prévoyant et qui avait longtemps séjourné dans cette île et m’y avait servi. »

[5Suarez de Peralta [9, 38], 82.

[6D del C, vol. II, p. 420-421.

[7Ces renseignements résultent de l’examen, en 1946, de ses restes par deux commissions distinctes.

[8Weiditz, né à Strasbourg, était un protégé de l’ambassadeur de Pologne, Johann von Hoeven (Johannes Dantiscus) qui se lia avec Cortés. Dantiscus semble avoir envoyé une copie du tableau ou de la médaille, ou peut-être le tableau original au chancelier de Pologne, Krystov Szydtowiecki qui en accusa réception en 1530. Voir Anton Fontan et Jery Axer. Voir l’illustration en couleurs in Das Trachtenbuch des Christoph Weiditz von seinen reisen nach Spanien (1529) und der Nederland (1531/2), intr. Theodor Hampfe, Berlin 1927 ; et Jean Babelon, « Un retrato verdadero de Hernan Cortés » in MAMH, XIII (juillet-août 1954), 173-8. Ni Babelon ni Franz Blom, qui a aussi écrit sur le tableau, in Hernan Cortés y el libro de trajes de Christoph Weiditz (Tuxtla Gutierrez, 1945) ne semblent y avoir remarqué la coloration des cheveux de Cortés. Sur les portraits du conquistador, on pourra se reporter à ma conférence de Yaseen en 1995.

[9« resabido y recatado » : Las Casas, II, 475. Cette médaille, souvent reproduite, se trouve à Paris.

[10« el cabello algo rojo », in Marineo Siculo [9, 20], 100. Cet humaniste distingué écrivit aussi un éloge de l’évêque Fonseca (cité dans l’Annexe 16 à un essai de Tomas Teresa Leon in Hispania Sacra, 13, 1960, 52-4) ce qui laisse supposer que son appréciation de la vertu n’était pas toujours fiable. Du moins peut-on se fier à un Italien pour apprécier les couleurs...

[11« la barba clara, el cabello largo (…) » ; G, 492.

[12« las barbas tenian algo prietas y pocas y ralas (…) el cabello que en aquel tiempo se usaba era de la misma manera de las barbas » ; (D del C, II, 420. Prieto signifie ordinairement « très sombre »).


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