Guillaume Villeneuve, traducteur
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Galilée vu par Milton

jeudi 6 mai 2010, par Guillaume Villeneuve


Et de peur que certains ne vous persuadent, Messieurs du Parlement, que cet argument du désespoir des savants devant votre présente loi n’est que gesticulation sans réalité, je pourrais exposer ce que j’ai vu et entendu dans d’autres pays, tyrannisés par le même genre d’inquisition ; de fait, lorsque j’ai fréquenté leurs savants - car j’eus cet honneur - ils m’estimèrent heureux d’être né dans un lieu où prévaut la liberté philosophique - car c’est ainsi qu’ils voyaient l’Angleterre en déplorant constamment la servitude où est tenu le savoir chez eux ; ils l’accusaient d’avoir estompé la gloire des esprits italiens ; rien n’avait été écrit en Italie depuis de nombreuses années qui ne soit flatterie et emphase. C’est alors que je rendis visite au célèbre Galilée très âgé, prisonnier de l’Inquisition pour avoir eu une autre conception de l’astronomie que ses censeurs franciscains et dominicains. Et, bien que je sache que l’Angleterre gémissait alors très fort sous le joug des princes de l’Église, je vis malgré tout une promesse de bonheur dans le fait que d’autres nations fussent à ce point persuadées de sa liberté. Mais je n’allais pas jusqu’à espérer qu’y vivaient déjà les hommes de valeur qui la mèneraient à une délivrance telle que ce monde ne l’oubliera pas jusqu’à la fin des temps. Quand cette libération eut commencé, je n’imaginais pas davantage que les doléances des savants entendues à l’étranger contre l’Inquisition, je les entendrais prononcer par nos savants à l’encontre d’une loi de censure, ceci sous régime parlementaire ; et par un si grand nombre que lorsque j’eus révélé que je partageais leur colère, je pourrais dire, sans vanité, qu’à l’imitation de celui que les Siciliens ne cessèrent de solliciter contre Verrès parce que l’honnêteté de sa questure les avait conquis, le crédit que j’avais parmi la plupart de ceux qui vous honorent - vous les connaissez et les respectez - me surchargea de suppliques et de demandes : que je n’hésite pas réunir tous les arguments que m’inspirerait la juste raison pour faire abroger l’esclavage injustifiable pesant sur le savoir.

Areopagitica, Pour la liberté d’imprimer sans autorisation ni censure, pp. 112-3 Paris, 2009


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